de Fabricech » 13 Déc 2018, 07:13
J'ai écrit pour plusieurs revues, dont Chasse & Nature en Belgique. Je n'écris plus aujourd'hui que pour la France (question de salaire...). Voici une copie d'un article écrit il y a quelques années, mais qui focalisait sur les Chiens Courants, ne possédant que des Griffon Fauve de Bretagne pour le gros. Les autres types de chiens n'y sont pas traités :
Autant que la puissance olfactive, c’est l’intelligence avec laquelle le chien interprète les odeurs qui détermine le résultat de la chasse. Mais que sont ces odeurs ? Les théories qui existent par rapport à la qualité de la voie sont aussi fragiles qu’incertaines.
Le nez avant les yeux
En Décembre, au retour d’une courte sortie d’entraînement avec trois chiots découplés pour l’occasion avec leur mère, un incident est survenu. La chienne adulte marchait librement à mes côtés, quand un lièvre a démarré à quelques mètres. La chienne a couru l’animal à vue et l’a perdu après seulement 200 mètres. Cela m’a rappelé un dicton de vénerie : « Lièvre vu, lièvre perdu ».
En voyant le lièvre, le chien a fait abstraction de sa meilleure arme, son odorat. Il a chassé à vue. L’excitation l’a poussé à se précipiter sans réfléchir, contrairement à ce qu’il aurait fait s’il avait utilisé son nez sans voir l’animal. Une fois le lièvre entré au bois, il s’est retrouvé hors du champ de vision du chien. Ne travaillant pas sur la voie odorante, celui-ci a mis quelques secondes à se calmer et prendre connaissance de la voie. J’ai arrêté le chien immédiatement.
Je pense que les chasseurs qui tentent de faire lever à vue devant un chien courant en pensant lui faciliter la vie commettent une erreur. Le fondement même du travail d’un chien courant est de chasser selon les odeurs qu’il perçoit et analyse.
Question de goût
Certaines personnes aiment la soupe au chou, d’autres la détestent. Les chiens courants sont pareils à nous. Ils ont eux aussi leurs préférences pour certains types de voies et d’odeurs. Il est possible de travailler cette préférence via l’entraînement, et la complémentarité de la meute via la connaissance de chacun de ses chiens. Car un chien n’est jamais excellent sur tous les animaux et tous les types de voies. Pour accepter ce principe, il faut tenter de comprendre ce que sont les odeurs que le chien s’efforce de décrypter.
Vent du nord, chiens dehors
La densité de l’air varie en fonction de sa température. L’air chaud est moins dense que l’air froid, et est par conséquent plus léger. Il s’élève en emportant les particules odorantes qui se trouvent sur le sol. C’est la raison pour laquelle le vent du nord est favorable à la chasse.
Pour simplifier, distinguons deux grandes catégories d’odeur :
- Le champ odorant : Portion d’espace qui contient des molécules odorantes chaudes flottant dans l’air. Elles sont produites par l’haleine, le poil mouillé, le sous-poil huileux... Les jours de grand vent détériorent la qualité du champ odorant, car les molécules sont projetées plus loin et plus vite que par temps calme, et se dissolvent dans l’air. Le champ odorant est en perpétuel mouvement.
- La voie au sol : Odeur dégagée par les glandes situées sous les pattes et les sabots. Ce sont plutôt des particules froides, raison pour laquelle elles se trouvent au sol et non dans l’air.
La quête et le lancer
Durant la quête, les chiens courants travaillent la voie au sol, où les molécules d’odeur sont froides et peu présentes. Ce travail est difficile. Lorsqu’il n’y a pas ou peu de voie, il faut éviter de courir et couvrir un grand territoire. Si la voie est mauvaise ici, elle ne sera sans doute pas meilleure 500 mètres plus loin. La meilleure chose à faire est de ratisser la zone la plus favorable et laisser travailler les chiens. En se rapprochant de l’animal gîté, les chiens perçoivent une odeur plus chaude, en suspension dans l’air : Le champ odorant. Ils situent alors l’animal et le mettent sur pieds. En clair, c’est à cet instant que les chiens courants commencent à utiliser à la fois la voie au sol et le champ odorant.
La menée
Durant les premières minutes de la menée, on assiste à un phénomène rapporté par les piqueux de vénerie. Le corps de l’animal « tourne au ralenti ». Il se met sur pied et entame sa course. Le battement cardiaque est normal. La respiration est régulière et ne laisse échapper qu’une quantité restreinte de molécules d’odeur, d’haleine. Les glandes des pattes ou sabots sont au repos. On dit parfois que l’animal retient son sentiment.
Pour les chiens, les risques d’erreur sont importants durant cette étape de la chasse, le début de la menée. Cette voie « débutante » est difficile car elle est plus légère que l’odeur du gîte où l’animal était couché. Le chien doit empaumer rapidement cette voie légère et moins odorante que le gîte de l’animal, qui capte pourtant son attention. Cette étape de la chasse est importante pour juger des qualités et défauts d’un chien. Durant cette phase, le chien expérimenté reste relativement calme, car il sait que la précipitation ne lui serait pas favorable. Un chasseur de lièvre au chien courant écrivait : « Si vous souhaitez ruiner votre chasse, la meilleure solution consiste à courir mettre les chiens à la voie en les excitant. […] Mieux vaut perdre deux minutes au départ et laisser les chiens empaumer correctement ».
La menée s’accélère au fur et à mesure que l’animal court et s’échauffe. Le champ odorant s’amplifie, chargé de molécules d’odeur chaude. Les chiens peuvent alors suivre la voie de l’animal en gardant le nez dans la ligne de dos, et non sur le sol, ce qui facilite la course et la respiration. Il s’ensuit une menée plus rapide, avec des chiens qui disposent de plus de souffle pour donner de la voix tout en menant avec ardeur. Petit à petit, le vent déplace les particules et donc le champ odorant, ce qui peut amener les chiens à chasser sur une voie apparemment décalée de quelques mètres par rapport au passage de l’animal. En plaine, ce décalage entre la voie au sol (le passage réel de l’animal) et le champ odorant déplacé par le vent peut être impressionnant, de plus de quinze mètres parfois. On peut avoir l’impression que le chien chasse à vide, mais il profite en réalité du champ odorant de l’animal, et non de sa voie au sol.
On peut supposer que la menée est facilitée lorsque le chien travaille en forêt. Au bois, l’animal laisse son odeur sur le sol et dans l’air, mais aussi sur la végétation qu’il touche durant sa course. Le champ odorant est moins perturbé qu’en plaine, car les arbres agissent comme des coupe-vent. Les molécules odorantes sont donc plus nombreuses et mieux réparties. L’humidité maintient les molécules d’odeur et facilite le travail des chiens.
Certains chasseurs disent que la chasse est difficile dans les zones de feuillus tant que les feuilles ne sont pas tombées. Il est possible que les feuilles au sol fournissent un meilleur tapis pour la rétention des molécules odorantes, tandis que les feuilles sur les arbres perturbent les mouvements d’air, et donc la bonne répartition du champ odorant. Un tapis de feuilles faciliterait donc le travail des chiens, à condition que le vent ne crée par un phénomène de « feuilles roulantes » qui entraînerait l’effet contraire, à savoir plus de difficultés à suivre la piste qui bouge alors avec les feuilles et se dissout.
Mais même au bois, la voie peut être difficile à cause des vents tournants, de la neige, de la sécheresse. Sur voie difficile, même les chiens les plus abondants peuvent devenir presque muets, concentrés qu’ils sont sur des molécules odorantes difficiles à percevoir et analyser.
Le défaut
Si le champ odorant devient trop léger car le gibier a une avance importante et le champ s’est dissout, le chien doit recommencer à travailler sur la voie au sol. C’est ce qui se produit sur le défaut, lorsque les chiens perdent la voie de l’animal chassé. En mouvement permanent, le champ odorant ne se trouve plus au-dessus de la voie au sol au moment où il se dissout. En clair, il ne suffit pas au chien de baisser le nez pour être à nouveau sur la voie. Il doit chercher cette voie en silence, la retrouver, et la remonter le plus vite possible afin de récupérer le champ odorant qui permettra à nouveau une course rapide. Le travail sur les défauts pouvant prendre du temps, les chiens se répartissent la surface à analyser afin d’accélérer le travail de la meute. C’est une très belle chose à observer. Un travail de groupe qui démontre la supériorité de la meute par rapport à un travail en solo. Chaque chien a son rôle à jouer. Avancer vite et bien, s’écouter et se faire confiance.
Qu’en est-il dans nos Ardennes belges ?
Appliquons ces principes à la chasse du chevreuil, qui est une véritable manne pour la plupart des territoires ardennais. D’une certaine façon, tous les chiens « chassent » le chevreuil, au moins en début de menée. Ils ont facilement tendance à courir derrière l’animal en aboyant. Mais lorsqu’il s’agit de le chasser correctement et de le faire sortir de l’enceinte, les choses se corsent.
L’animal est rapide et rusé. Ses sabots sont petits et ne laissent sans doute qu’une voie légère sur le sol. Le chevreuil déploie de nombreuses ruses durant sa fuite. La densité de chevreuils étant souvent élevée, un adulte a vite tendance à provoquer le change en coupant la voie d’un autre chevreuil. Par ailleurs, l’animal emprunte facilement les plaines et crée de nouvelles difficultés en se déplaçant en surface ouverte, où l’air circule plus vite, emportant les molécules chaudes du champ odorant. Celui-ci sera plus vite dissout, ce qui fera perdre du temps à la meute. Les chiens doivent travailler vite. S’ils n’ont pas les qualités voulues et n’utilisent pas à la fois la voie au sol et le champ odorant, ils seront écartés de la course par le chevreuil et abandonneront la menée.
Une ruse fréquente est celle de la double-voie : Le hourvari. Le chevreuil s’arrête, fait demi-tour pour revenir sur sa voie, puis saute en dehors de cette voie afin de changer la direction de sa course. Ce faisant, il favorise sa fuite grâce à sa propre odeur. Un jeune chien ne connaissant pas cette ruse aura tendance à poursuivre sur la voie initiale, arrivant alors « en bout de voie » sans comprendre où a disparu le chevreuil.
Un chien expérimenté agit différemment. Pour le chasseur, la vue est l’outil principal, par exemple pour identifier les traces sur le sol. Le chasseur observe les traces du chevreuil dans la neige ou la boue, et peut en déduire certaines choses en fonction du positionnement des pas. Le chien fait de même avec son odorat. Un chien d’expérience sait comment distinguer pattes postérieures et pattes antérieures sur la voie. Durant la course ou le trot, les extrémités des membres postérieurs traînent légèrement sur le sol durant le mouvement de repli des pattes. La position des pas sur le sol est régulière pour autant que l’animal chassé poursuive sa course dans la même direction. Si le positionnement des pas sur le sol change, le chien expérimenté sait ce que cela signifie et réagit en conséquence. Cela peut également expliquer la distance entre les « coups de nez » du chien.
Par ailleurs, l’intensité de l’odeur est importante dans la façon dont le chien analyse la voie. En double voie, l’odeur est identique, mais les molécules deviennent brusquement plus odorantes lorsque le chien arrive sur le point où le chevreuil quitte sa double voie en faisant son saut sur le côté pour changer la direction de sa course. Il s’agit du même chevreuil, mais de deux voies opposées qui se chevauchent. L’odeur de la voie « de retour » étant plus récente de quelques secondes ou minutes, cela permet au chien de bloquer brusquement et crocheter là où les jeunes poursuivraient jusqu’en bout de voie sans comprendre la ruse de l’animal. Comme chez les hommes, c’est dans les situations difficiles qu’apparaît « la supériorité des cheveux gris ».
La ruse de la double-voie étant très courante en défaut sur chevreuil, le conducteur doit souvent tirer les chiens vers l’arrière et non les pousser vers l’avant comme avec le renard et le sanglier.
« Il n’y a pas de mauvaises voies, il n’y a que de mauvais chiens »
Par manque de place, les lignes ci-dessus sont forcément réduites à quelques principes un peu caricaturaux, qui sont à relativiser en fonction de l’animal chassé, du climat et de la configuration du territoire. En réalité, les discussions sur la qualité de la voie peuvent durer des heures, sans que l’on puisse s’accorder sur une règle générale. La problématique est complexe, et les théories sur le sujet sont aussi fragiles qu’incertaines.
L’expérience montre que les bons chiens parviennent en général à tirer leur épingle du jeu dans toutes les conditions. C’est ce qui fait parfois dire aux piqueux qu’il n’y a pas de mauvaises voies, il n’y a que de mauvais chiens.
En réalité, personne n’a encore pu déterminer avec précision ce qu’est un bon temps pour la qualité de la voie. Certains résument par l’adage : « Un temps de demoiselle – Ni pluie, ni vent, ni soleil ».
Mais à la vérité, on ne peut être sûr de la qualité de la voie qu’une fois sur le terrain, derrière les chiens.