Un grand cerf... à l'arc... émotions et chasse mixte

Modérateurs: Centaure, Raboliot

Un grand cerf... à l'arc... émotions et chasse mixte

Messagede jean.galoppin » 05 Fév 2013, 13:27

je n'y avais jamais pensé, poster un récit sur le site du Solitaire, on m'interpelle de temps en temps suite aux écrits que je fais, donc voilà effectivement une solution de partager et faire savoir... Un récit peut aussi permettre de répondre à certaines questions que certains se posent ou même couper court à certaines " fausses idées" que l'on entend...
J'espère que ce récit vous plaira, il est difficile de faire vivre l'émotion tel qu'on l'a vécue, j'ai fait de mon mieux... je suis meilleur chasseur à l'arc qu'écrivain ... :lol:

" Gibier d’exception pour une journée remplie de circonstances…
La fin de saison bat son plein… du moins sur la chasse des Hazelles, chasse mixte dont je suis actionnaire depuis quelques années, c’est toujours un grand moment cette fin de saison, on redoute le dernier jour, on sait qu’on ne reverra les amis que dans un an.
La dernière journée officielle est déjà passée, mon ami Pierre, le directeur de battue, nous informe qu’une journée supplémentaire est prévue fin janvier, le plan de chasse cervidé n’est pas abouti, il faut donc prévoir une journée de plus pour essayer de boucler les bracelets.
J’essaie de trouver des archers disponibles. Les habitués sont prioritaires mais personne n’est disponible. Je commence alors à proposer aux amis proches, cela leur permet de découvrir un territoire et de terminer la saison de battue dans une ambiance hivernale particulière.
Nicolas, un ami de longue date, chasseur à l’arc, sera de la partie pour cette dernière… Le rendez vous est fixé à 8H. Nous prenons un petit déjeuner nommé de coutume « fricassée » ;il se compose d’œufs sous forme d’omelette et de lard… du pain frais et du beurre, ce petit déjeuner est le début d’une journée passée dans la convivialité.
Petit déj callé, nous allons à nos voitures nous équiper. Ce moment est important, car rien n’est laissé au hasard (matériel, vêtements, climbing,… on passe en revue ce qui est important). Jean Luc, le président, en profite pour venir me donner une consigne importante : « Aujourd’hui, c’est la dernière ! ».
J’autorise le tir sur cerf boisé pour les archers. Pour information, cette chasse mixte permet aux archers de tirer sur biches, faons, chevreuils et sangliers. Les cerfs boisés sont réservés aux carabiniers.
Le rond se passe comme d’habitude, avec les consignes de sécurité, les consignes de tirs et les boutades sur les battues précédentes. Une chose diffère ;le directeur de battue précise que les archers peuvent tirer sur cerf et qu’il reste en fait deux bracelets pour boisés et quelques uns pour non boisés.
Les enceintes définies, je ne suis pas très optimiste. La première et seconde enceinte ne sont généralement pas très prometteuses pour les archers, le gibier passant de façon très aléatoire et imprécise. Se placer correctement n’est pas chose simple ; pas de remise, pas de coulée fréquentée plus qu’une autre,… l’incertitude nous gagne.
Mon ami Jérôme, garde de la chasse, me fait part de ses conseils. Il nous recommande de changer de naille. Dans les battues précédentes, nous prenions la deuxième naille, sur laquelle nous nous répartissions. Jérôme me confirme que les cervidés ont l’habitude de passer vers le bas et de chercher un passage vers la chasse voisine…
Sur une organisation digne de manœuvres militaires, les chasseurs sont répartis selon les lignes de tir et se mettent en route pour prendre leurs postes. Nous, archers, rentrons les derniers dans la traque afin d’éviter de déranger le gibier et que ce dernier ne soit sur pied avant que la totalité des carabines ne soient postées. Chasser sur un territoire avec du grand cervidé n’est pas chose facile. Discrétion et silence sont de rigueur.
En convoi et le plus discrètement possible, nous nous déplaçons vers nos parkings respectifs… Erreur ou oubli de ma part, je loupe la première naille ( celle que m’avait conseillée Jérôme) .Je prends connaissance de cet oubli arrivé sur le parking N°2. Nicolas me dit « Bah, on peut vite faire demi-tour et prendre la naille que Jérôme conseille ».
Personnellement, je ne tiens pas à faire demi tour ;non pas pour éviter cette naille mais plus pour éviter de retarder le début de la chasse et faire du « ramdam » avec le 4X4 devant les autres chasseurs déjà postés.
Je prends donc la décision de rester sur notre ligne habituelle. Nous ne sommes que deux archers pour couvrir une longue ligne qui coupe le massif, il faut bien faire un choix. L’enceinte en elle-même ne m’inspirant pas, je décide de placer Nicolas au dessus, en espérant qu’il puisse avoir les chevreuils ou sangliers qui généralement longent la ligne de tir, avant de sauter pour passer dans la battue voisine.
Je me dirige vers un poste plus bas. Climbing au dos, me voici dans la ligne me dirigeant vers l’inconnu. J’ai très mal au thorax. Une bronchite me pose problème depuis quelques jours. Mon climbing me pèse, je voudrais me placer plus bas mais je traine dans mes déplacements. Je me dis également que monter dans un arbre après cette marche ne me fera pas gagner du temps. Je prends donc la décision de déposer mon summit dans le trait et de me poster au sol, au petit bonheur la chance.
Je n’ai ni filet, ni affût.. Je dois me servir du biotope pour réaliser un écran en vue d’armer si un gibier se présente.
Je sais par expérience que certains gibiers passent plus bas. Je sais aussi que ces grandes sapinières sont des endroits de passage empruntés régulièrement. Je dois analyser et me fixer très vite. Le temps passe, la traque va démarrer et idéalement, je dois être posté et préparé pour le début ; il me faut devenir invisible pour avoir une chance d’être à portée de tir d’une biche ou l’autre.
Je décide de me placer derrière un sapin de bonne taille. Ce dernier pourra couvrir ma silhouette et me permettre d’armer discrètement. La forêt est magnifique, l’odeur de l’humus et de la mousse humide monte dans l’air, c’est un vrai régal ! J’en oublie pendant un court instant cette marche de plusieurs centaines de mètres et ma douleur aux poumons.
J’entends au loin les coups de trompes qui signalent le début de la traque. J’ai pris soin de nettoyer correctement le pied de mon arbre, d’enlever les petites branches ou obstacle qui pourraient trahir ma présence pendant un déplacement autour de ce dernier, je me positionne et j’attends...
Rapidement, les chiens donnent de la voix. Il est très difficile de situer la direction de fuite…rien de bien précis. Quelques minutes passent, je reste attentif et déjà regarde ma montre…10H20…pas de coups de carabine, rien ne laissant croire que la forêt soit peuplée de gibier… sauf cette masse brune qui se déplace en parallèle par rapport a ma position !!! Une masse brune ????? Une, deux, trois, quatre, masses brunes, une harde de cervidés, biches, faons, bichettes, peut être cerfs…
Mais ma joie ne peut exploser ! Ils vont dans un sens opposé à ma position et non pas vers moi. Je me prépare quand même, par sécurité car le moindre mouvement serait perçu par la biche de tête. Etre au sol pour chasser le cervidé en battue n’est pas une mince affaire. Par expérience je sais qu’il faut chasser très haut pour éviter d’être vu ou senti.
Je discerne le dernier de la harde qui file vers l’intérieur du bois. Je me dis avec lassitude que la chance est loin et qu’être placé 50M plus bas aurait été la bonne initiative …si ma tante en avait, on l’appellerait mon oncle… Trêve de balivernes, cette harde de 8 animaux qui filait à l’anglaise fait demi-tour et prend au trot la direction de mon poste… Là, ça commence à devenir chaud ! Une biche, c’est déjà très vigilant mais 8, c’est du presque pas possible ! Un vallon nous sépare, je profite de leur descente pour armer et me positionner à genoux, réduisant alors mouvement et masse. Le vent ne pourrait être plus mauvais; il pique droit vers la crête du vallon située a 25M de moi. Une chance peut être ? Je suis full-équipé avec ma tenue Soft Shell de Out fox ; une tenue adaptée pour la chasse par sa douceur et résistance mais surtout par sa membrane Ergotarn. Cette dernière bloque l’odeur humaine sur base d’un principe de charbon actif issu d’un dérivé d’utilisation militaire. Le vent me fouette la nuque… sans nul doute la harde sera et est déjà dans le vent.
Le bois craque, le bruit de déplacement de la petite bande se fait de plus en plus pressant. Je suis armé, concentré sur mon mono pins, la sucette encrée. Ma respiration est tombée bien bas, comme je sais le faire en situation de stress. Il ne reste plus qu’à voir et identifier le premier qui se présentera, ou du moins la première. Sans surprise et par force des choses dans la nature, je m’attends à voir une belle biche meneuse ouvrir la voie pour ce clan…il faut croire que dans cette journée, rien n’est normal, car le premier animal en vue est un cerf…Un gros cerf ! Il est boisé de façon impressionnante. Je ne perds pas de temps à compter. J’ai de toutes façons le choix le plus simple à respecter ;il reste un grand cerf et un petit cerf à tirer pour boucler le plan de chasse et rien n’a été tiré a ce moment de la journée. Mon mono pins se bloque machinalement sur le poitrail du roi. Il continue se progression et se dirige droit sur moi…il bloque… son attention est dirigée sur cette masse sombre à 25M de lui. Il est trop tard, la flèche Mayhem part et déjà l’encoche lumineuse indique que l’emplacement du tir est parfait. Le cerf se cabre, la harde explose. Tous font demi-tour, lui prend une direction opposée. C’est bon signe. Je me déplace pour le suivre du regard. Il est là,30m plus bas, il tombe dans un fracas de branches. Je suis déjà heureux du moment vécu sans pour cela réaliser la réalité des choses. Le silence de la forêt est déchiré par les aboiements des chiens de traque… « Nooooonnnn …. », les 4 chiens se dirigent droit sur le cerf, sont sur lui en quelques secondes. L’animal bouge encore, un sursaut de force le remet debout. Tant bien que mal, il chancelle sur ces pattes…le sang coule…il se sait sûrement perdu mais jusqu’au bout, il combat la meute. Un petit chien en fera les frais ;je le vois voler dans l’air et retomber quelques mètres plus loin. Le cerf entreprend de descendre pour échapper aux morsures. Rien n’y fera, il tombera 30 mètres plus loin mort et vide de son sang, l’hémorragie aura fait son travail. L’adrénaline lui aura permis de faire quelques mètres de plus mais rien ne pouvait le sauver ; la lame tranchante et affûtée placée au bon endroit est d’une redoutable efficacité. Le tir silencieux et l’absence de choc ne permet pas à l’adrénaline de lancer le cerf sur une longue distance.
Je pris alors la direction du ruisseau dans lequel il perdit la vie. Plus je me rapprochais de mon gibier et plus mon cœur s’accélérait. Je ne pouvais voir le trophée, seul son corps et sa masse rousse était visible. Les traqueurs arrivaient à leur tour et tous s’exclamaient sur la taille et l’exploit dont ils étaient les premiers témoins ; leurs part de responsabilité y était pour beaucoup. Une traque bien menée, des chiens créancés , un beau cerf mort et correctement tiré.. Ils sont heureux et c’est une part de leurs actes de chasse qui est réussi et récompensé.
Je suis à quelques mètres du corps sans vie. Je ne peux voir les bois. C’est un peu comme si je ne prenais jamais le bon chemin pour arriver face à mon adversaire ? Soudain, la lumière et le soleil me font apparaître ces ramures, ces cors…il est énorme, il est impressionnant ! Je ne sais combien de cors il a mais bon dieu, c’est un très grand cerf… Je n’en reviens pas, le fil de l’action ne cesse de repasser dans ma tête…je n’avais pas rêvé, j’avais bien entendu Jean-Luc autoriser le tir sur cerf pour les archers.
Les traqueurs me félicitent. Ils sont impressionnés par le travail d’une flèche, par la distance parcourue, par l’efficacité de cette arme si peu connue à leurs yeux et si unique au miens.
Ils continuent leur chemin et moi je reste à genoux à regarder ce gibier, si majestueux, si impressionnant. Je suis heureux et triste, ce sentiment régulier lorsque je prélève un animal. Une histoire se termine ; il a été le roi des Hazelles et du massif, il a veillé sur sa harde, il a couvert ses biches pour assurer sa descendance... ces fils et filles seront là pour la prochaine saison, je les verrai passer et humblement, je pourrai les saluer en mémoire de leur père. Je prends le temps encore un moment, ce moment entre lui et moi…je lui compte 14 cors. Je ne sais son âge, il est de toute façon mon grand cerf, le cerf d’une vie pour un archer.
La journée fût magique, les questions et félicitations n’ont cessés, se fût un plaisir de vivre et revivre l’histoire. Le repas de midi fût passionné par ces moments privilégiés que l’on tente de faire vivre aux autres ; les photos envoyée par mms au amis restés en Belgique, amis qui, pour tout vous dire, on de grands moments de doutes, sachant que votre serviteur est blagueur.. Mais, photos à l’appui, les choses deviennent plus authentiques, et puis il y a Nicolas qui était là depuis le début, qui a pu partager avec moi ce moment unique et privilégié. Il a su aussi immortaliser par quelques cliché le moment du baptême, ce moment si chère au Hazelles. Nul ne peut prétendre chasser et tuer au Hazelles sans subir le baptême qu’il se doit (cœur sensible s’abstenir) mais cela reste un très grand moment de camaraderie… on n’oublie jamais les amis qui vous baptisent.
Un chasseur à la carabine aura l’occasion de tiré un cerf plus petit, nous aurons donc fini cette belle journée avec deux boisés au tableau… le champagne est assuré pour la prochaine saison.
Je tiens encore une fois à remercier de tout cœur Jean Luc qui a su, avec confiance et plaisir, nous recevoir sur sa très belle chasse. Les Hazelles, c’est surtout une ambiance, un moment de vie partagé avec des passionnés ; Les Hazelles, c’est mon ami Pierre, directeur de battue qui, pour chaque journée, nous donne les consignes et force le respect derrière sa moustache digne d’un classique « tea for two ». Les Hazelles, c’est Jérôme le garde du massif, un homme généreux, respectueux, qui sait donner de son temps pour que la saison soit magique… Les Hazelles, c’est une équipe de traqueurs sympathiques et enjoués qui savent faire vivre une saison. Merci à tous pour ces moments passés en votre compagnie. Les Hazelles c’est un moment de vie que l’on ne regrette pas….
Ce cerf 14 cors, 8 ans d’âge et médaillé de Bronze à la cotation de ST Laurent dans les Ardennes, fût tiré sur les Grandes Hazelles aux portes de la Belgique, dans le village Frontalier de Hautes rivières.
Il était connu sur le massif, ayant été repéré par les trail cam qui surveille le territoire, l’identification et la gestion font partie intégrante d’une belle chasse, il n’est pas question de facilité, mais bien d’assurer et respecté un plan de tir accorder par les gestionnaire de la forêt pour préserver une sylviculture sensible a l’augmentation du cervide dans nos massifs.
Il est regrettable que la situation de la chasse à l’arc en Belgique reste floue alors que de l’autre coté de la Semois (rivière faisant frontière entre Sugny et Hautes Rivière coté France) ce mode de chasse respectueux et efficace ne fait que croître depuis 1995 et ce parmi les jeunes et moins jeunes chasseurs voulant vivre la chasse avec une arme différente mais un esprit commun et un respect pour ce que peut nous offrir dame nature. De tout mon cœur, j’aspire à ce que les choses changent et que l’on puisse vivre de tels moments en Belgique, que la mentalité des gens et leurs aprioris puissent évoluer.
Jean.Galoppin "
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Re: Un grand cerf... à l'arc... émotions et chasse mixte

Messagede Edouard » 05 Fév 2013, 13:44

Superbe récit, que d'émotions. Félicitations pour ce magnifique cerf.
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