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Le cerf et la forêt

Date : 24/04/2015

Le cerf, animal originairement habitant des milieux ouverts (steppes), a été refoulé dans la forêt par la pression de l’homme il y a des siècles. Ce ne serait donc que justice, vis-à-vis de cet animal, d’avoir une forêt « cerf admis ». Maintenant, certains lui contestent sa légitimité dans ce biotope : « se méfier du cerf, animal grégaire de milieux ouverts….en forêt, il n’est pas chez lui. A ne tolérer qu’à doses modérées… » (Cervidés et Forêt. Rétablir une harmonie. Fr Roucher).     Les cervidés font l’objet de vives critiques et sont accusés de nuire à la sylviculture et à la biodiversité, en empêchant la régénération naturelle. Or, biodiversité et sylviculture sont en réalité deux choses différentes, voire sur certains points, incompatibles. La forêt serait, selon certains, en péril… Mais qu’en est-il exactement ?

  • Depuis plus d'un siècle, la superficie de la forêt wallonne est sans cesse en progression.
  • La superficie forestière est de 544 800 ha soit 32.3 % de la superficie totale de la Région Wallonne.
  • Le pourcentage de feuillus s’élève à 52,4 % de feuillus pour 47.6 % de résineux.
  • Si, actuellement, la productivité moyenne annuelle est, toutes essences confondues, d'environ 7 m³ par ha, elle n'atteignait au début du siècle dernier que 1,5 m³ par ha. Elle a pratiquement quintuplé tandis que la qualité des bois s'est fortement améliorée.
  • En termes d’évolution des volumes, la capitalisation est importante: en vingt ans, le matériel sur pied s’est accru de plus de 26 millions m3, soit de plus de 30%, non seulement en résineux où l’augmentation de volume atteint 36% mais aussi en feuillus où elle s’établit à 26%.

Source : La forêt wallonne, état de la ressource à la fin du 20 ème siècle. Ministère de la Région Wallonne. 1999. 

Toujours selon le rapport de l’OCDE (op cit) concernant l’examen des performances environnementales en Belgique :
« Les forêts sont depuis longtemps gérées de façon à obtenir un rendement durable et la biomasse sur pied continue à augmenter. De nouvelles pratiques durables de gestion forestière sont à présent mises en œuvre dans les forêts publiques et visent à concilier les fonctions écologiques, sociales et économiques de ces écosystèmes importants.

... Il convient de développer les instruments pour encourager les propriétaires privés à protéger la nature et la biodiversité sur leur propriété. »

Il n’est donc pas exact de dire que la forêt soit menacée. Un chasseur posait la question quant à savoir s’il n’était pas possible de remettre des betteraves pour le nourrissage supplétif des cervidés, car il lui semblait « qu’à l’époque où cette pratique était permise, les dégâts d’écorcement étaient moindres. » Ce à quoi il lui a été répondu que « les cervidés vivaient depuis des milliers d’années sans betteraves et que les cerfs n’avaient pas besoin de cela ». Mais en réalité d’où vient la betterave ? D’Amérique du Sud, comme le maïs ou les pommes de terre ? En réalité, la betterave est un cultivar d’une plante bien indigène de chez nous, la betterave maritime, peut-être même antérieure à l’apparition des cervidés. Quant à l’épicéa qui  peuple nos forêts, il a été introduit des Carpates dans les années 1850. Quant au Sitka, et au sapin de Douglas, ils sont originaires d’Amérique du Nord. Qui donc est- il le plus exotique ?

D’après l’UNESCO, les causes majeures de la perte de biodiversité sont, dans l’ordre d’importance :

 

  • En premier, la perte d’habitat (fragmentation, dégradation, disparition) par les activités humaines telles que l’agriculture, l’élevage, le développement des infrastructures, l’exploitation forestière, minière et l’urbanisation.
  • Les espèces invasives qui sont la deuxième cause d’extinction des espèces.
  • Le changement climatique.
  • La surexploitation et la pollution

Définition des espèces invasives : « Espèce exotique naturalisée dans un territoire qui modifie la composition, la structure et le fonctionnement des écosystèmes naturels ou semi-naturels dans lequel elle se propage».

Stricto sensu, l’épicéa, le Sitka, le sapin de Douglas sont des espèces exotiques, et, même s’ils sont plantés « en carré » et « contrôlés », ils sont susceptibles de se disséminer et remplissent toutes les conditions précitées. Preuve en est la détermination à les exclure des projets Life.

En réalité, donc, au minimum 34 % de la forêt Wallonne est donc constituée d’espèces invasives.

Bien entendu, l’aspect financier doit être pris en compte, et la sylviculture contribue grandement à la richesse et la prospérité de nos régions, mais, qu’en pense la forêt ?

Une régénération naturelle, quelques années après une mise à blanc, bien vivace, malgré une population vive en cervidés.

De l’autre côté, la même régénération a été girobroyée

Les épicéas ou les douglas sont ensuite plantés en ligne, exactement comme des betteraves.

 

Actuellement en Wallonie, 97% des surfaces forestières publiques et 12% des surfaces forestières privées sont certifiées PEFC.

Alignement d’épicéas : peut-on concilier ce type d’exploitation forestière et la notion de « forêt certifiée comme écologiquement durable » ?
Outre le caractère « agressif » de l’exploitation forestière moderne, il ne faut cependant pas oublier que la biodiversité souffre d’un autre type de menace, à savoir la gestion sélective des arbres (fûts droits) en vue d’une rentabilité maximale, qui hypothèque la diversité génétique végétale.
Or, en ce qui concerne les cervidés, on ne peut parler d’impact négatif sur la biodiversité.
Bien au contraire : l’abroutissement des plantes en les maintenant à l’état de buissons touffus sera évidemment plus favorable à la nidification des oiseaux.
L’ouverture des milieux permettra à la lumière d’atteindre les sous-étages et le sol et de favoriser le développement de la végétation.
Les bénéfices écologiques liés à la présence du cerf, se mesurent en termes de biodiversité :

Le nombre moyen d’espèces végétales est plus important en présence de cervidés (28 espèces) qu’en absence de cervidés (22) » (Sonia Saïd 2011 Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS)). Son étude montre que les populations de cervidés, maintenues à des niveaux modérés tels que dans la Réserve Nationale de Chasse et de la Faune Sauvage de La Petite Pierre (RNCFS), jouent un rôle essentiel dans le maintien de la diversité de la strate herbacée et permettent l’installation de certaines espèces.

Autre étude scientifique à laquelle on fait référence, celle de Mr Jean-Louis MARTIN, Directeur de recherche, Centre National de la Recherche Scientifique – France, intitulé : « La grande faune, un moteur de la dynamique et de la structuration de la biodiversité en forêt »

Contrairement à ce que le titre de l’exposé pourrait laisser croire, il ne s’agit pas d’un aspect positif, mais très clairement négatif. Il rapporte les résultats d’une étude réalisée dans des îles au Canada, dans lesquelles le cerf a été réintroduit, et compare la biodiversité dans ces îles en fonction de celles ou le cerf a été réintroduit il y a 50 ans, il y a 20 ans, et les îles ou le cerf est absent.

Avec, en illustration, un impact catastrophique sur la biodiversité, aussi bien en matière de flore que de faune, en particulier, l‘avifaune.

Par contre, ce que Mr Martin omet de mentionner, ce sont les densités de cervidés : 30 par km2, soit 300 pour 1000 hectares, sur des îles...

Pour arriver à un tel résultat, il faudrait une population en Wallonie de 150.000 cervidés, soit plus de 10 fois la population estimée actuelle.

Peut-on en ce cas parler de rigueur scientifique ?
 
L’impact  sur la sylviculture est par contre incontestable : dégâts d’écorcement et abroutissement des plants. Mais ceci est un problème de rentabilité financière, pas de biodiversité.
Les dégâts de gibier concernent 17% des surfaces des peuplements. Si les dégâts sont relativement limités dans les forêts feuillues (6% des surfaces sont atteintes), il en va tout autrement en futaies résineuses dont près de 30% présentent des dégâts d’abroutissement, frotture ou encore écorcement. Les chiffres les plus élevés se rencontrent en pessières avec 34% des plantations dévalorisées.

Source : Rapport d’activités 2006 DGRNE

Cela signifie-t-il que 34% de la récolte est perdue ?
Pas exactement : en fait, la rentabilité de la forêt s’exprime par le « TIR », acronyme de « taux interne de rentabilité », soit ce que rapporte réellement l’exploitation sylvicole, tous frais d’exploitations et autres déduits.
Le calcul n’a été réalisé que pour l’épicéa :

« L’épicéa présente une rentabilité de 2.9 à 1.55 %, si l’on s’en tient aux 4 meilleures classes de fertilité et avec protection contre le gibier : celle-ci fait perdre de 0.77% à 0.98% de rentabilité »

Source : Rapport d’activité 2011 Département de la Nature et des Forêts-Direction des ressources forestières.

En réalité, ce n’est donc pas 30% de la récolte qui est perdue, mais 30% de la rentabilité réelle…

La question du nourrissage supplétif.
Aux détracteurs du nourrissage supplétif du cervidé qui qualifient cette pratique « d’élevage en forêt », on pourra répondre que les techniques sylviculturales des plantations d’épicéa sont en réalité de « l’agriculture industrielle en forêt » (cf. supra).
On pointe souvent du doigt les dégâts « effroyables » aux alentours des points de nourrissage du fait du nourrissage supplétif du cervidé en hiver. Mais c’est surtout oublier qu’en concentrant les dégâts autour de ces points, le reste de la forêt est épargnée.
Il serait assez facile de reconsidérer la politique des points de nourrissage, en les implantant dans des zones peu propices à la sylviculture, et en les entourant de taillis, gagnages de brout et de remises qui leur seraient consacrées.

Un cerf dans une pessière : l’absence de nourriture y est flagrante : l’animal n’est pas un responsable, mais une victime de la perte de biodiversité.

Deux pessières.
La photo du dessus a été prise dans un territoire ou le cerf est totalement absent, celle du dessous dans un territoire ou la densité comptée au printemps était de plus de 100 cervidés aux 1000 Ha, et très exactement à 100 m de l’unique gagnage situé sur ce territoire.

Qui viendra dire que « toute régénération est impossible » ?

La menace de l’interdiction totale du nourrissage supplétif pour le cervidé aura eu au moins un effet bénéfique : la prise de conscience de la nécessité d’aménager les territoires afin de garder leur attractivité : création ou agrandissement des gagnages d’herbe ou de brout, plantation d’arbres (aubépines) pour créer des haies, coupe-vent, abris, alimentation, plantation d’arbres fruitiers (pommiers, poiriers), de châtaigniers, marronniers,…
Mais tous ces coûteux aménagements  sont l’œuvre du chasseur, à sa charge, et nécessitent comme préalable la propriété du territoire.
Contrairement aux projets Life qui se font avec les deniers publics.
Il faut rappeler que le chasseur est le seul utilisateur « payant » de la forêt : promeneurs, touristes et photographes circulent gratuitement et le sylviculteur en tire profit. 
Il suffit de regarder la proportion des revenus bruts de la forêt pour comprendre la faible marge d’influence des chasseurs dans les processus décisionnels dans l’attribution des plans de tir

Le propriétaire forestier, qui a acheté (ou hérité) d’un domaine, considère que ce bien lui appartient en propre.
Mais pour la faune, la forêt, c’est leur maison, leur habitat, et eux considèrent aussi qu’elle leur appartient.
Il est du propre de l’homme de considérer de façon présomptueuse que sa loi est supérieure à celle de la nature. Or, cette dernière aura toujours raison.
On peut très bien comprendre le souci de rentabilité financière du sylviculteur, et également un choix délibéré de celui-ci et un droit, sur une propriété privée, de réduire au minimum les populations de cervidés.
Il ne s’agit évidemment pas de prôner une attitude extrémiste en exigeant l’éradication des épicéas dans nos forêts, et la prolifération incontrôlée des populations de cervidés.
Il convient de rester réaliste et de reconnaître le rôle économique essentiel pour notre société des épicéas.
Mais il convient d’admettre que la volonté de diminution drastique des populations de cervidés n’a pas comme but essentiel la préservation de la biodiversité, mais la rentabilité financière de la sylviculture.
Les points précédents démontrent que s’il est incontestable qu’une densité de cervidés trop importante nuit à la rentabilité financière de la sylviculture, son impact sur la véritable biodiversité ne doit pas être mis en cause.
Une fois ce point admis, les environnementalistes devraient logiquement reconsidérer leurs positions.
L’alliance entre environnementalistes et sylviculteurs est par conséquent contre nature, au sens propre et figuré du terme.
En effet, il est illogique de dénoncer des densités de gibier prétendument trop élevées comme étant responsables d’une perte de biodiversité (alors qu’elles ne nuisent à la forêt qu’en termes de rentabilité), sans pour autant dénoncer les aspects industriels et monoculturaux de la sylviculture.
Imaginerait-on un parti politique de gauche cautionnant les pratiques des traders ?

Jean Luc Jorion


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